ARCANUM
DIVINAE
LETTRE
ENCYCLIQUE
DE SA SAINTETÉ
LÉON PP. XIII
SUR LE MARIAGE CHRÉTIEN
Aux Patriarches,
Primats, Archevêques, et Evêques du monde catholique en grâce
et communion avec le Siège apostolique.
Le mystérieux dessein de la sagesse divine
que Jésus-Christ, le sauveur des hommes, devait accomplir sur terre,
était de restaurer divinement par Lui et en Lui le monde, atteint
d'une espèce de sénilité. C'est ce que l'apôtre
saint Paul exprimait en termes magnifiques lorsqu'il écrivait aux
Ephésiens : Le mystère de sa volonté... c'est
de restaurer dans le Christ toutes les choses qui sont au ciel et sur
1a terre ( Eph.
I, 9-10. ).
Lorsque
le Christ, Notre-Seigneur, entreprit d'exécuter l'ordre que lui
avait donné son Père, il délivra le monde de sa décrépitude
en imprimant aussitôt à toutes choses comme une nouvelle
forme et une nouvelle beauté. Il guérit les blessures que
le péché de notre premier père avait faites à
la nature humaine. Il remit en grâce avec Dieu l'homme qui, par
nature, était enfant de la colère. Il amena à la
lumière de la vérité les esprits fatigués
par de longues erreurs. Il fit renaître à toutes les vertus
ceux qui étaient usés par toutes les impuretés. Ayant
rendu aux hommes l'héritage de la béatitude éternelle,
il leur donna, l'espérance certaine que leur corps mortel et périssable
participerait un jour à l'immortalité et à la gloire
céleste.
Pour
rendre de si remarquables bienfaits aussi durables que l'humanité,
il constitua enfin l'Eglise dépositaire de son pouvoir. Il la chargea,
en prévision de l'avenir, de rétablir l'ordre dans la société
humaine là où il serait troublé, de relever ce qui
viendrait à tomber en ruine.
Cette
restauration divine, dont Nous avons parlé, concerne principalement
et directement les hommes établis dans l'ordre surnaturel de la
grâce. Cependant les résultats précieux et salutaires
qui en découlent se sont fait largement sentir même dans
l'ordre naturel. Il en est résulté, tant pour la société
universelle du genre humain que pour l'individu en particulier, un grand
perfectionnement sous tous rapports.
L'ordre
chrétien des choses une fois fondé eut pour l'homme cet
heureux résultat que chacun apprit et s'accoutuma à se reposer
sur la providence paternelle de Dieu, et à espérer les secours
célestes avec la certitude de n'être pas trompé. De
là sont nées la force, la modération, la constance,
l'égalité d'âme provenant de la paix, enfin un grand
nombre de vertus éclatantes et d'uvres excellentes.
Quant
à la société familiale et à la société
civile, il est étonnant de voir à quel point elles ont gagné
en dignité, en stabilité, en honneur. L'autorité
des princes devint plus équitable et plus sainte, l'obéissance
des peuples plus volontaire et plus facile, l'union des citoyens plus
étroite, le droit de propriété plus garanti. Bref
la religion chrétienne veilla et pourvut à toutes les choses
qui sont considérées comme utiles dans l'Etat. Ainsi, selon
le mot de saint Augustin, elle n'aurait pas, semble-t-il, pu rendre la
vie plus tranquille et plus heureuse, lors même qu'elle aurait été
établie dans le but unique de procurer et de multiplier les avantages
et les bienfaits de la vie présente.
Mais
notre intention n'est pas d'énumérer tout ce qui a été
fait en ce genre. Nous voulons seulement parler de la société
familiale, dont le mariage est le principe et le fondement.
Tout
le monde sait, Vénérables Frères, quelle est la véritable
origine du mariage. Les détracteurs de la foi chrétienne
refusent d'admettre en cette matière la doctrine constante de l'Eglise.
Ils veulent, depuis longtemps déjà, détruire la tradition
de tous les peuples et de tous les siècles. Malgré leurs
efforts, ils n'ont pu, ni éteindre, ni affaiblir la force et l'éclat
de la vérité. Nous rappelons donc des choses qui sont connues
de tous et ne font doute pour personne.
Après
avoir, au sixième jour de la création, formé l'homme
du limon de la terre, et après avoir envoyé sur sa face
le souffle de vie, Dieu voulut lui adjoindre une compagne, qu'il tira
merveilleusement du flanc de l'homme endormi. En agissant ainsi, Dieu
voulut, dans sa très haute providence, que ce couple fût
l'origine naturelle de tous les hommes et qu'il servît à
la propagation du genre humain et à sa conservation dans tous les
temps par une série ininterrompue de générations.
Afin
de répondre plus parfaitement aux très sages desseins de
Dieu, cette union de l'homme et de la femme se présenta, dès
ce temps-là, avec deux propriétés principales et
nobles entre toutes, qui lui furent pour ainsi dire profondément
imprimées et gravées, à savoir l'unité et
la perpétuité. C'est ce que nous voyons déclaré
et ouvertement confirmé dans l'Evangile par la divine autorité
de Jésus-Christ. Selon l'affirmation qu'il fit aux Juifs et aux
apôtres, le mariage, en vertu de son institution même, ne
doit exister qu'entre deux personnes, c'est-à-dire entre l'homme
et la femme : des deux il se forme comme une seule chair, et le lien
nuptial est, de par la volonté de Dieu, si intimement et si fortement
noué, qu'il n'est au pouvoir de personne de le délier ou
de le rompre. L'homme s'attachera à son épouse, et ils seront
deux en une seule chair. C'est pourquoi ils ne sont déjà
plus deux, mais une seule chair. Que l'homme ne sépare donc point
ce que Dieu a uni (Matth.
XIX, 5-6)
.
Cette
forme de mariage, si excellente et si élevée, commença
peu à peu à se corrompre et à disparaître chez
les peuples païens.
On
la vit même se voiler et s'obscurcir jusque dans la race des Hébreux.
Une coutume en effet s'était établie parmi eux, qui permettait
à chaque homme d'avoir plus d'une femme. Plus tard Moïse,
en raison de la dureté de leur cur (Matth.
XIX, 8
),
eut la condescendance de leur laisser la faculté de la répudiation.
La voie fut ainsi ouverte au divorce.
Quant
à la société païenne, on peut à peine
croire à quelle corruption, à quelle déformation
le mariage y fut réduit, asservi qu'il était aux fluctuations
des erreurs de chaque peuple et des plus honteuses passions.
Toutes
les nations oublièrent plus ou moins la notion et la véritable
origine du mariage. On promulguait partout sur cet objet des lois qui
semblaient dictées par des raisons d'Etat et n'étaient pas
conformes aux prescriptions de la nature. Des rites solennels, inventés
selon le caprice des législateurs, faisaient attribuer aux femmes,
ou bien le nom honorable d'épouse, ou bien le nom honteux de concubine.
On en était même arrivé à ce point que l'autorité
des chefs de l'Etat décidait qui pouvait se marier et qui ne le
pouvait pas ; car les lois étaient, en bien des points, contraires
à l'équité et favorables à l'injustice. En
outre, la polygamie, la polyandrie, le divorce furent cause que le lien
nuptial se relâcha considérablement.
De
plus il y avait une extrême perturbation dans les droits et les
devoirs mutuels des époux.
Le
mari acquérait sa femme comme une propriété et la
répudiait souvent sans juste cause. Adonné à une
licence indomptable et effrénée, il se permettait impunément
de fréquenter les mauvais lieux et les courtisanes esclaves, comme
si ce n'était pas la volonté déréglée,
mais la dignité compromise, qui constituait le péché
(S.
Jérôme Epist. 77, 3 PL 22, 691
).
Au
milieu de ce déchaînement du libertinage de l'homme, rien
n'était plus misérable que la femme. Elle était abaissée
à ce point d'humiliation qu'elle était en quelque sorte
considérée comme un simple instrument destiné à
assouvir la passion ou à produire des enfants. On n'eut même
pas honte de vendre et d'acheter les femmes à marier, ainsi que
l'on fait pour les choses matérielles (Arnobius,
Adversus Gentes, 4
).
En même temps on donnait au père et au mari la faculté
d'infliger à la femme le dernier supplice.
Sortie
de tels mariages, la famille était nécessairement, ou bien
dans la main de l'Etat, ou bien à la merci du père (Dionysius
Halicarnassus, lib. II, c. 26-27
).
Les lois donnaient, en outre, à ce dernier le pouvoir non seulement
de conclure et de rompre à son gré les mariages de ses enfants,
mais d'exercer sur eux-mêmes le droit barbare de vie ou de mort.
Tous
ces vices, toutes ces ignominies qui déshonoraient les mariages
furent enfin supprimés et guéris par Dieu. Jésus-Christ
voulant restaurer la dignité humaine et perfectionner les lois
mosaïques, s'occupa du mariage avec une sollicitude toute particulière.
En
effet, il ennoblit par sa présence les noces de Cana en Galilée,
et les rendit mémorables par le premier de ses miracles (Joan.
II
).
Aussi le mariage semble-t-il avoir commencé à recevoir ce
jour-là, en raison de ces circonstances, un nouveau caractère
de sainteté.
Ensuite
il ramena le mariage à la noblesse de sa première origine.
Il réprouva donc les murs des Juifs qui abusaient de la multiplicité
des épouses et de la faculté de les répudier. Il
voulut surtout que personne n'osât séparer ce que Dieu avait
joint par un lien d'union perpétuelle. C'est pourquoi, après
avoir écarté les difficultés que l'on tirait des
institutions mosaïques, il formula, en qualité de législateur
suprême, cette règle sur le mariage : Or, je vous dis
que quiconque aura renvoyé sa femme hors le cas d'adultère,
et en aura pris une autre, commet un adultère, et celui qui aura
pris celle qui a été renvoyée commet aussi un adultère
(Matth.
XIX, 9
).
Ce
qui a été décrété et établi
par l'autorité de Dieu au sujet des mariages, fut transmis oralement
ou par écrit, en termes plus explicites et plus clairs, par les
apôtres, messagers des lois divines. Il faut rapporter à
leur enseignement ce que les Saints Pères, les Conciles et la tradition
universelle de l'Eglise nous ont toujours affirmé (Conc.
Trid., sess. XXIV, in principio)
à savoir que Notre-Seigneur Jésus-Christ a élevé
le mariage à la dignité de sacrement. Grâce à
Lui, les époux, revêtus et munis de la grâce céleste,
fruit de ses mérites, purent se sanctifier dans le mariage même.
Dans ce mariage, image admirable de son union mystique avec l'Eglise,
il a rendu l'amour naturel plus parfait et resserré plus étroitement,
par le lien de la divine charité, la société familiale,
déjà indivisible de sa nature (Conc.
Trid., sess. XXIV, cap.1, De reformatione matrimonii.).
Epoux, dit saint Paul aux Ephésiens, aimez vos femmes comme le
Christ a aimé l'Eglise et s'est livré lui-même pour
elle afin de la sanctifier... Les époux doivent aimer leurs femmes
comme leur propre corps... car jamais personne n'a haï sa chair,
mais il la nourrit et la soigne comme fait le Christ pour l'Eglise, parce
que nous sommes les membres de son corps, formés de sa chair et
de ses os. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère
pour s'attacher à sa femme, et ils seront deux en une seule chair.
Ce mystère est grand ; je veux dire, par rapport au Christ
et à l'Eglise (Eph.
V, 25-32).
Nous
avons appris également par l'enseignement des apôtres que
Jésus-Christ a déclaré saintes et décrété
à jamais inviolables l'unité et la stabilité perpétuelle
exigées par l'origine même du mariage. A ceux qui sont unis
par le mariage, dit encore saint Paul, je prescris, ou plutôt ce
n'est pas moi, c'est le Seigneur, que la femme ne se sépare pas
de son mari. Si elle s'en sépare, qu'elle reste sans se marier,
ou se réconcilie avec son mari (I
Cor. VII, 10-11).
Et il ajoute : La femme est liée à la loi, tant que
vit son mari ; si son mari vient à mourir, elle est libre
(I
Cor. VII, 39).
Pour ces motifs le mariage est donc un grand sacrement (Eph.
V, 32),
honorable en tout (Hebr.
XIII, 4
),
saint, chaste, digne de respect en raison des choses très hautes
dont il est la figure.
Mais
ce n'est pas uniquement dans ce qui vient d'être rappelé
que se trouve la chrétienne et souveraine perfection du mariage.
Car en premier lieu, la société conjugale eut désormais
un but plus noble et plus élevé qu'auparavant. Sa mission
ne fut plus seulement de pourvoir à la propagation du genre humain,
mais d'engendrer les enfants de l'Eglise, les concitoyens des saints et
les serviteurs de Dieu (Eph.
II, 19),
afin qu'un peuple fût procréé et élevé
pour le culte et la religion du vrai Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ
(Catéch.
Rom., c. XXVII, IV
).
En
second lieu, les devoirs de chacun des deux époux furent nettement
définis, leurs droits exactement fixés. Il faut qu'ils se
souviennent toujours qu'ils se doivent mutuellement le plus grand amour,
une fidélité constante, une aide prompte et assidue.
L'homme
est le prince de la famille et le chef de la femme. Celle-ci cependant
est la chair de sa chair et l'os de ses os. Comme telle, elle doit être
soumise à son mari et lui obéir, non à la manière
d'une esclave, mais d'une compagne. Ainsi l'obéissance qu'elle
lui rend ne sera pas sans dignité ni sans honneur. Dans celui qui
commande, ainsi que dans celle qui obéit, puisque tous deux sont
l'image, l'un du Christ, l'autre de l'Eglise, il faut que la charité
divine soit la règle perpétuelle du devoir, car le mari
est le chef de la femme comme le Christ est le chef de l'Eglise. Mais
de même que l'Eglise est soumise au Christ, ainsi les femmes doivent
être soumises à leurs maris en toutes choses (Eph.
V, 23-24).
Pour
ce qui regarde les enfants, ils doivent être soumis à leurs
parents, leur obéir et les honorer par devoir de conscience. En
retour, les parents doivent appliquer toutes leurs pensées et tous
leurs soins à protéger leurs enfants et surtout les élever
dans la vertu. Pères, élevez-les (vos fils), en les corrigeant
et en les avertissant selon le Seigneur (Eph.
VI, 4)
.
On voit par là que les devoirs des époux sont nombreux, et
graves. Grâce à la vertu que donne le sacrement, ils deviennent
cependant pour les bons époux, non seulement tolérables, mais
pleins de joie.
Lorsque
Jésus-Christ eut ainsi ramené le mariage à une si
grande perfection, il en remit et en confia toute la discipline à
l'Eglise. L'Eglise, en effet, exerça ce pouvoir sur les mariages
des chrétiens en tout temps et en tout lieu. Elle le fit de façon
à montrer évidemment que ce pouvoir lui appartenait en propre,
qu'il ne lui venait pas du consentement des hommes, mais qu'elle l'avait
acquis par la volonté divine de son auteur. On sait avec quel soin
et quelle vigilance elle s'occupa de maintenir la sainteté du mariage
et de lui garder son véritable caractère ; il est inutile
de le démontrer.
Ainsi
une décision du concile de Jérusalem a réprouvé
les amours dissolues et libres (Act.
XV, 29).
Saint Paul a condamné un citoyen de Corinthe, coupable d'inceste
(I
Cor. V, 5)
.
L'Eglise a toujours, avec la même énergie, repoussé
et réprimé les efforts de ceux qui s'attaquèrent au
mariage chrétien, tels que les gnostiques, les manichéens,
les montanistes, dans les premiers temps du christianisme, et de nos jours,
les mormons, les saint-simoniens, les phalanstériens, les communistes.
Ainsi
encore le droit du mariage fut établi égal entre tous et
le même pour tous, par la suppression de l'ancienne distinction
entre esclaves et hommes libres. Les droits du mari et de la femme devinrent
semblables. Comme le disait saint Jérôme, chez nous ce qui
n'est pas permis aux femmes ne l'est pas non plus aux maris et ils subissent
le même joug sous une même condition (S.
Jérôme, Epist. 77 PL 22, 691)
.
Ces droits trouvèrent dans l'affection mutuelle et les devoirs réciproques
un affermissement solide. La dignité de la femme fut revendiquée
et garantie. Il fut défendu à l'homme de punir de mort la
femme adultère et de violer la foi jurée, pour satisfaire
ses passions et son impudicité. Et, ce qui est aussi de grande importance,
l'Eglise limita, dans la mesure voulue, le pouvoir du père de famille,
afin que la juste liberté des fils et des filles désireux
de se marier ne fût en rien diminuée. Elle décréta
la nullité des mariages entre parents et alliés à un
certain degré, afin que l'amour surnaturel des époux se répandît
en un champ plus vaste. Elle prit soin, tant qu'elle le put, d'écarter
du mariage l'erreur, la violence et la fraude. Elle voulut que la sainte
pudeur de la couche nuptiale, la sécurité des personnes, l'honneur
des mariages, les droits de la religion, fussent maintenus et sauvegardés.
Enfin, elle entoura cette institution divine de tant de force, de tant de
lois prévoyantes, que, pour tout juge impartial, l'Église,
même en ce qui concerne le mariage est la meilleure garde, la meilleure
défense de la société humaine. Sa sagesse a triomphé
de la course du temps, de l'injustice des hommes, des vicissitudes innombrables
de la politique.
Par
suite des efforts de l'ennemi du genre humain, il y a des hommes qui,
répudiant avec ingratitude les autres bienfaits de la Rédemption,
méprisent ou méconnaissent tout à fait la restauration
opérée et la perfection introduite dans le mariage. Ce fut
la honte d'un certain nombre d'anciens d'avoir combattu le mariage en
quelques-unes de ses prérogatives. Mais combien plus pernicieuse
est la faute de ceux qui, à notre époque, veulent modifier
de fond en comble la nature du mariage qui est parfaite et complète
sous tous ses rapports et dans toutes ses parties !
La
raison principale de ces attaques, c'est qu'imbus des opinions d'une fausse
philosophie et livrés à des habitudes corrompues, de nombreux
esprits ont avant tout l'horreur de la soumission et de l'obéissance.
Ils travaillent donc avec acharnement à amener, non seulement les
individus, mais encore les familles et toute la société
humaine, à mépriser orgueilleusement la souveraineté
de Dieu.
Or,
la source et l'origine de la famille et de la société humaine
tout entière se trouvent dans le mariage. Ils ne peuvent donc souffrir
en aucune façon qu'il soit soumis à la juridiction de l'Eglise.
Bien plus, ils s'efforcent de le dépouiller de toute sainteté
et de le faire entrer dans la petite sphère de ces choses instituées
par l'autorité humaine, régies et administrées par
le droit civil. En conséquence, ils attribuent aux chefs de l'Etat
et refusent à l'Eglise tout droit sur les mariages ; ils affirment
qu'elle n'a exercé autrefois un pouvoir de ce genre qua par concession
des princes, ou par usurpation. Ils ajoutent qu'il est temps désormais
que les chefs d'Etat revendiquent énergiquement leurs droits et
se mettent à régler librement tout ce qui concerne la matière
du mariage. De là est venu ce qu'on appelle vulgairement le mariage
civil.
De
là ces lois promulguées sur les cas d'empêchement
de mariage ; de là ces sentences judiciaires sur les contrats
de mariage, décidant s'ils sont valides ou non. Enfin nous voyons
que tout pouvoir de légiférer ou de juger en cette matière
a été si soigneusement enlevé à l'Église,
qu'on ne tient plus aucun compte, ni de son autorité divine, ni
des lois prudentes sous l'empire desquelles ont vécu pendant si
longtemps les peuples qui reçurent avec la sagesse chrétienne
la lumière de la civilisation.
Cependant
les rationalistes et tous ceux qui, professant avant tout le culte de
l'Etat-Dieu, s'efforcent par ces mauvaises doctrines de jeter le trouble
dans tous les peuples, ne peuvent échapper au reproche de fausser
la vérité.
En
effet, le mariage a Dieu pour auteur. Il a été dès
le principe comme une figure de l'incarnation du Verbe de Dieu. Il y a
par cela même en lui quelque chose de sacré et de religieux,
qui n'est pas surajouté, mais inné, qu'il ne doit pas aux
hommes, mais qu'il tient de la nature. C'est pourquoi Innocent III et
Honorius III, Nos prédécesseurs ont pu, avec raison et sans
témérité, affirmer que le sacrement de mariage existe
chez les fidèles et chez les infidèles. Ainsi l'attestent
les témoignages mêmes de l'antiquité, les murs
et les institutions des peuples qui ont été les plus civilisés
et se sont distingués par une connaissance plus parfaite du droit
et de l'équité. Il est certain que chez tous ces peuples,
par l'effet d'une perception innée et habituelle, l'idée
du mariage éveillait spontanément dans l'esprit la notion
d'une chose associée à la religion et à la sainteté.
Aussi était-il d'usage chez eux de ne point célébrer
de mariage sans les cérémonies du culte, l'autorité
des Pontifes et le ministère des prêtres ; tant avaient
de force, même dans les âmes privées de la doctrine
céleste, la nature des choses, le souvenir des origines et la conscience
du genre humain ! Le mariage étant donc, de lui-même,
par essence et par nature, une chose sacrée, doit être réglé
et régi, non par le pouvoir des princes, mais par la divine autorité
de l'Église, seule maîtresse des choses sacrées.
Il
faut considérer ensuite la dignité du sacrement qui, en
se surajoutant au mariage chrétien, l'a rendu beaucoup plus noble.
Or, par la volonté de Jésus-Christ, l'Eglise seule peut
et doit statuer et disposer sur les sacrements. Il est donc tout à
fait absurde de vouloir faire passer aux mains de l'autorité civile
la moindre parcelle de ce pouvoir.
Enfin,
le témoignage de l'histoire est ici très important et très
fort. Il montre manifestement que ce pouvoir législatif et judiciaire,
dont Nous parlons, a toujours été librement exercé
par l'Eglise, même dans les temps où il serait ridicule et
insensé d'imaginer pour cela l'assentiment ou la connivence des
chefs de l'Etat. En effet, quoi de plus incroyable et de plus absurde
que de prétendre que le Christ Notre-Seigneur ait reçu délégation
du procureur de la province ou du roi des Juifs, pour condamner l'habitude
invétérée de la polygamie et de la répudiation !
de même, que l'apôtre saint Paul, lorsqu'il interdit les divorces
et les mariages incestueux, ait agi par permission ou par mandat tacite
de Tibère, de Caligula, de Néron ! On ne pourra jamais
non plus persuader à un homme sain d'esprit, que toutes les lois
de l'Eglise sur la sainteté et l'indissolubilité du mariage,
sur les unions entre esclaves et femmes libres aient été
promulguées après autorisation obtenue des empereurs romains.
Ces ennemis déclarés du nom chrétien n'avaient rien
de plus à cur que de l'étouffer par la violence et
le massacre. Ceci est d'autant plus évident que le droit établi
par l'Eglise s'écartait parfois du droit civil, au point qu'Ignace
le Martyr (Epistola
ad Polycarpum, cap. 5 PG 5, 723-724),
Justin (Apolog.
Maj., 15 PG 6. 349A. B), Athenagoras (Legat. pro Christian.,
32, 33 PG 6, 963-968)
et Tertullien (De
coron. milit., 13 PL 2, 116
),
dénonçaient publiquement, comme illicites et adultères,
quelques-unes de ces unions que les lois impériales favorisaient
cependant.
Plus
tard, lorsque toute la puissance eut passé aux empereurs chrétiens,
les souverains Pontifes et les évêques réunis en conciles
continuèrent toujours, avec la même liberté et la
même conscience de leur droit, à ordonner et à défendre
au sujet du mariage ce qu'ils jugeaient utile, ce qui leur semblait convenir
aux différentes époques, malgré le désaccord
qui pouvait exister entre leurs décrets et les institutions civiles.
Personne n'ignore combien de décisions, souvent contraires aux
ordonnances de la législation impériale, furent prises par
les pasteurs de l'Eglise dans les conciles de Grenade, d'Arles, de Chalcédoine,
dans le deuxième de Milève et dans les autres, au sujet
des empêchements de mariages pour motifs de vu, différence
du culte, consanguinité, crime, honnêteté publique.
Bien loin de s'attribuer le pouvoir sur le mariage chrétien, les
princes ont plutôt reconnu et proclamé qu'il appartenait,
dans sa plénitude, à l'Eglise. En effet, Honorius, Théodose
le Jeune, Justinien, n'hésitèrent pas à avouer que,
dans les matières qui se rapportent au mariage, ils n'avaient d'autre
autorité que celle de gardiens et de défenseurs des saints
canons. Quant aux empêchements de mariage, s'ils promulguèrent
à ce sujet des édits, ils en exposèrent spontanément
le motif en déclarant qu'ils le faisaient avec la permission et
par l'autorité de l'Eglise. C'est à son jugement d'ailleurs
qu'ils avaient coutume de recourir ou de déférer avec respect
dans les controverses au sujet de la légitimité des naissances,
des divorces, et de toutes les questions enfin qui avaient quelque rapport
essentiel avec le lien conjugal. Il a donc été défini
à bon droit au concile de Trente qu'il est au pouvoir de l'Eglise
d'établir des empêchements dirimants (Conc.
Trid., sess. XXIV, can. 4)
et que les causes matrimoniales ressortissent aux tribunaux ecclésiastiques
(Ibid.,
can. 12).
Que
personne non plus ne se laisse prendre à cette distinction, tant
prônée des légistes, qui sépare le contrat
nuptial du sacrement. Son but est de livrer le contrat au pouvoir et au
jugement des princes temporels, en réservant à l'Eglise
le sacrement.
Cette
distinction, ou, pour mieux dire, cette séparation ne saurait être
admise. Il est reconnu que, dans le mariage chrétien, le contrat
ne peut être séparé du sacrement. Il ne peut donc
y avoir contrat véritable et légitime, sans qu'il y ait,
par cela même, sacrement. En effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ
a élevé le mariage à la dignité de sacrement ;
or, le mariage c'est le contrat lui-même, s'il est fait selon le
droit.
En
outre, le mariage est un sacrement, parce qu'il est un signe sacré
qui produit la grâce et offre l'image des noces mystiques du Christ
avec l'Eglise. Or, la forme et la figure de ces noces sont précisément
ce lien de parfaite union qui lie l'homme et la femme l'un à l'autre,
et qui n'est autre que le mariage lui-même. Toute union légitime
entre chrétiens est donc évidemment, en soi et par soi,
sacrement. Il n'y a rien de plus contraire à la vérité
que de considérer le sacrement comme une sorte de cérémonie
additionnelle, ou un caractère extrinsèque qui puisse au
gré des hommes être disjoint et retranché du contrat.
Donc,
la raison ne prouve pas, et l'histoire, ce témoin des temps, ne
montre pas davantage que le pouvoir sur le mariage des chrétiens
ait été légitimement attribué aux chefs de
l'Etat. Si le droit d'autrui a été violé en cette
matière, personne ne dira qu'il l'a été par l'Eglise.
Plût
à Dieu que les doctrines rationalistes ne fussent pas aussi fécondes
en ruines et en calamités qu'elles sont pleines de mensonge et
d'injustice. Mais on voit facilement quels maux la profanation des mariages
a produits et produira dans la société tout entière.
D'après
une loi divinement établie dès l'origine, les institutions
dont Dieu et la nature ont été les auteurs, nous sont d'autant
plus utiles et salutaires qu'elles demeurent plus intégralement
et plus immuablement dans leur état primitif. Dieu, le créateur
de toutes choses, savait bien ce qu'exigeaient l'établissement
et la conservation de chacune d'elles. Il les a toutes ordonnées
par sa volonté et dans son esprit, de façon que chacune
atteignît convenablement sa fin. Mais si la témérité
ou la malice des hommes veut changer et troubler l'ordre des choses établi
avec la plus admirable providence, les institutions les plus sagement
et les plus utilement disposées deviennent nuisibles ou cessent
d'être utiles, soit qu'elles aient en se modifiant perdu leur efficacité
pour le bien, soit que Dieu lui-même veuille tirer ce châtiment
de l'orgueil et de l'audace des hommes.
Or
ceux qui nient le caractère sacré du mariage et qui, après
l'avoir dépouillé de toute sainteté, le mettent au
rang des choses profanes renversent les fondements de la nature. Ils s'opposent
aux desseins de la divine Providence, et détruisent, autant qu'il
est en eux, ce que Dieu a établi. Aussi n'est-il pas étonnant
que ces efforts insensés et impies produisent tant de maux si funestes
au salut des âmes et au maintien de la société.
Si
l'on considère le but de l'institution divine du mariage, Dieu
a voulu évidemment mettre en lui les sources les plus fécondes
du bien et du salut publics. En effet, le mariage, qui tend à la
propagation du genre humain, a aussi pour objet de rendre la vie des époux
meilleure et plus heureuse. Il le fait de plusieurs manières :
par l'assistance mutuelle dans le support des nécessités
de la vie, par un amour constant et fidèle, par la mise en commun
de tous les biens, par la grâce céleste qui émane
du sacrement.
Le
mariage est aussi, pour la famille, une aide très efficace. Quand
il est selon l'ordre de la nature et conforme aux desseins de Dieu, il
contribue puissamment à maintenir la concorde entre les parents,
à assurer la bonne éducation des enfants, à régler
la puissance paternelle sur le modèle de la puissance divine, à
rendre les enfants obéissants à leurs parents et les serviteurs
à leurs maîtres.
Les
Etats peuvent attendre de tels mariages une race et des générations
de citoyens qui, animés de sentiments honnêtes et élevés
dans le respect et l'amour de Dieu, se considéreront comme obligés
d'obéir à ceux qui commandent justement et légitimement,
d'aimer leur prochain et de ne léser personne.
Ces
résultats, si nombreux et si importants, le mariage les a réellement
procurés, aussi longtemps qu'il a conservé les qualités
de sainteté, d'unité de perpétuité d'où
dépend toute son influence féconde et salutaire. Il aurait
certainement continué à produire les mêmes effets,
s'il était resté toujours et partout sous l'autorité
et sous la sauvegarde de l'Eglise, fidèle gardienne et restauratrice
de ses prérogatives. Mais on a voulu partout substituer le droit
humain au droit naturel et divin. Dès lors, la haute conception
du mariage, imprimée et comme scellée par la nature dans
l'esprit des hommes, a commencé à s'altérer. De plus
dans les mariages des chrétiens eux-mêmes, la source productrice
de ces grands bienfaits s'est beaucoup affaiblie par la malice des hommes.
Que
peut-on attendre de bon de ces familles, d'où l'on veut bannir
la religion chrétienne, qui est la mère de tous les biens,
qui entretient les plus hautes vertus, qui excite et entraîne vers
tout ce qui honore une âme généreuse et élevée ?
La
religion écartée et rejetée, le mariage tombe nécessairement
sous la servitude de la nature vicieuse de l'homme et des pires passions
maîtresses de son cur : l'honnêteté naturelle
ne peut pas lui fournir une efficace protection. C'est de là que
tant de maux ont découlé non seulement dans les familles
particulières, mais aussi dans les Etats. Sans la crainte salutaire
de Dieu, sans cet adoucissement aux épreuves de la vie qu'on ne
trouve nulle part autant que dans la religion chrétienne, il arrive
très souvent, comme par une pente naturelle, que les charges et
les devoirs du mariage semblent presque insupportables.
Le
nombre n'est que trop grand de ceux qui, jugeant que le lien contracté
dépend de leur volonté et d'un droit purement humain, éprouvent
le désir de le rompre lorsque l'incompatibilité des caractères,
ou la discorde, ou l'infidélité d'un des époux, ou
le consentement réciproque, ou d'autres raisons les engagent à
recouvrer leur liberté.
Si
la loi s'oppose à la réalisation de leurs intentions déréglées,
ils s'écrient que les lois sont injustes, inhumaines, contraires
au droit de citoyens libres. Ils en concluent qu'il faut mettre tout en
uvre pour les annuler et les abroger et leur autoriser le divorce
par une loi plus commode. Les législateurs actuels, qui professent
un attachement si tenace aux mêmes principes de droit ne peuvent
pas se défendre contre ces tendances perverses dont nous avons
parlé, lors même qu'ils le voudraient ardemment. C'est pourquoi
on en conclut qu'il faut céder aux exigences de l'époque
et que le divorce doit être autorisé.
C'est
ce que l'histoire elle-même nous apprend, par exemple, à
la fin du siècle dernier. Pendant cette révolution ou plutôt
cette dissolution de la France, alors que la société s'était
sécularisée en chassant Dieu de son sein, on en vint finalement
à sanctionner le divorce par les lois. Beaucoup de gens désirent
aujourd'hui les voir remises en vigueur, parce qu'ils veulent bannir Dieu
et l'Église et les chasser de la société humaine.
Ils s'imaginent follement qu'il faut demander à de pareilles lois
un remède suprême à la corruption croissante des murs.
Mais
il est à peine besoin de dire tout ce que le divorce renferme de
conséquences funestes.
Il
rend les contrats de mariage révocables ; il amoindrit l'affection
mutuelle ; il fournit de dangereux stimulants à l'infidélité ;
il compromet la conservation et l'éducation des enfants ;
il offre une occasion de dissolution à la société
familiale ; il sème des germes de discorde entre les familles ;
il dégrade et ravale la dignité de la femme, qui court le
danger d'être abandonnée après avoir servi aux passions
de l'homme.
Or
il n'y a rien de plus puissant pour détruire les familles et briser
la force des Etats que la corruption des murs. Il n'y a donc rien
de plus contraire à la prospérité des familles et
des Etats que le divorce. Né de la perversion morale des peuples,
le divorce, l'expérience l'atteste, ouvre la voie et la porte à
une dépravation plus grande encore des murs privées
et publiques.
Ces
maux paraîtront encore plus graves si l'on considère qu'une
fois la liberté du divorce accordée, il n'y aura jamais
d'obstacle assez puissant pour la contenir dans les limites déterminées
et prévues d'avance.
Grande
est la force des exemples, plus grande encore est celle des passions.
Avec de pareils stimulants, il doit arriver que le désir effréné
du divorce, s'insinuant chaque jour davantage, s'empare d'un plus grand
nombre de curs. C'est comme une maladie qui se propage par contagion,
ou comme un fleuve qui déborde après avoir franchi ses digues.
Toutes
ces choses sont évidentes par elles-mêmes. Elles deviennent
plus manifestes encore par l'évocation des souvenirs du passé.
Dès que la loi eut facilité les divorces, on vit croître
rapidement les dissentiments, les querelles, les séparations. Il
en est résulté une telle corruption que ceux mêmes
qui avaient été les défenseurs du divorce en vinrent
à se repentir de leur uvre. S'ils n'avaient cherché
à temps à y remédier par la loi contraire, il était
à craindre que la société ne courût précipitamment
à sa perte.
On
rapporte que les anciens Romains virent avec horreur les premiers cas
de divorce. Mais le sentiment de l'honnêteté s'oblitéra
bientôt dans les esprits. La pudeur, modératrice de la passion,
disparut. La foi conjugale fut alors violée avec une telle licence
qu'on peut admettre comme très vraisemblable ce que nous lisons
dans plusieurs écrivains, que les femmes avaient coutume de compter
leurs années, non par le changement des consuls, mais par celui
de leurs maris.
De
même chez les protestants, on avait d'abord promulgué des
lois pour permettre le divorce en certains cas déterminés,
vraiment peu nombreux. Mais, on le reconnut bientôt, en raison du
rapprochement de causes semblables, le nombre s'en accrut en Allemagne,
en Amérique et ailleurs, à tel point que les gens encore
sensés estimèrent souverainement déplorable cette
extrême dépravation des murs et l'intolérable
imprudence des lois.
Les
choses ne se passèrent pas autrement dans les Etats catholiques.
Lorsqu'on y permit la rupture des mariages, la multitude des inconvénients
qui en résultèrent dépassa de beaucoup les prévisions
des législateurs. Ce fut un crime très fréquent que
d'imaginer toute espèce d'artifices et de fraudes, et au moyen
de sévices, d'injures et d'adultères, de forger des cas
de divorce pour pouvoir dissoudre impunément les liens trop lourds
de l'union conjugale. L'honnêteté publique en fut si ébranlée,
que tous jugèrent qu'il fallait travailler au plus tôt à
corriger les lois.
Comment
douter que les lois favorables au divorce ne dussent avoir des suites
également tristes et désastreuses, si elles étaient
remises maintenant en vigueur ? Les inventions et les décrets
des hommes ne sauraient avoir le pouvoir de changer la nature et le caractère
des choses. Aussi ceux-là comprennent bien mal le bien public,
qui croient pouvoir impunément bouleverser la condition essentielle
du mariage, et qui, au mépris de la sainteté attachée
au mariage par la religion et le sacrement, semblent vouloir l'avilir
et l'abaisser au-dessous même du niveau établi par les lois
païennes. S'ils ne changent pas d'avis, les familles et la société
humaine auront donc toujours à craindre d'être misérablement
jetées dans ce conflit et ce bouleversement universels, projetés
depuis longtemps par les sectes criminelles des socialistes et des communistes.
On voit combien il est déraisonnable et absurde de demander le
salut public au divorce, qui doit plutôt amener la ruine certaine
de la société.
Il
faut donc le reconnaître, l'Eglise catholique a bien mérité
de tous les peuples par le soin qu'elle a pris constamment de protéger
la sainteté et la perpétuité des mariages. On lui
doit une grande reconnaissance pour ses interventions. Elle a hautement
réclamé contre les lois civiles si défectueuses en
cette matière qui ont été promulguées depuis
cent ans (Pie
VI, Epist. ad episc. Lucion., 20 mai 1793 ; Pie VII, let.
encycl. du 17 fév. 1809 et constitution du 19 juillet 1817 ;
Pie VIII, let. encycl. du 29 mai 1829 ; Grégoire XVI, constitution
du 15 août 1832 ; Pie IX, alloc. du 22 sept. 1852.). Elle a
frappé d'anathème l'abominable hérésie des
protestants sur le divorce et la répudiation (Conc. Trid., sess.
XXIV, can. 5 et 7). Elle a condamné à plusieurs reprises
certains cas de dissolution de mariage adoptés par les Grecs (Concile
de Florence et instructions d'Eugène IV aux Arméniens, Benoît
XIV, constitution Etsi Pastoralis, 6 mai 1742). Elle a prononcé
la nullité des mariages conclus à cette condition qu'ils
pourraient être un jour dissous. Elle a enfin rejeté, dès
le commencement, les lois impériales qui favorisaient malheureusement
le divorce et la répudiation (S. Jérôme, Epist.
69, ad Oceanum PL 22, 657 ; S. Ambroise, Lib. 8 in cap. 16
Lucae, n. 5 PL 15, 1857 ; S. Augustin, De nuptiis, 1,
10, 11 PL 44, 420).
Chaque
fois que les Pontifes suprêmes ont résisté aux princes
les plus puissants, qui demandaient avec menaces à l'Eglise, de
ratifier le fait de leur divorce, ils ont certainement lutté, non
seulement pour l'intégrité de la religion, mais aussi pour
la civilisation de l'humanité. Tous les âges admireront l'invincible
fermeté dont témoignent les décrets de Nicolas Ier
contre Lothaire ; ceux d'Urbain II et de Paschal II contre Philippe
Ier, roi de France ; ceux de Célestin III et d'Innocent
III contre Alphonse de Léon et Philippe II, roi de France ;
ceux de Clément VII et de Paul III contre Henri VIII, ceux enfin
du très saint et intrépide Pie VII contre Napoléon
Ier, enorgueilli de ses succès et de la grandeur de
son empire.
Si
tous ceux qui gouvernent et administrent les affaires publiques avaient
voulu se conformer à la raison, à la sagesse, et agir pour
le bien des peuples, ils auraient dû maintenir intactes les saintes
lois du mariage, et profiter du concours offert par l'Eglise, pour la
protection des bonnes murs et la prospérité des familles,
au lieu de faire soupçonner l'Eglise d'hostilité et de l'accuser
faussement et injustement d'avoir violé le droit civil.
C'étaient
d'autant plus leur devoir que l'Eglise catholique, qui ne peut manquer
à aucune de ses obligations, ni renoncer à défendre
son droit, a également pour habitude de se montrer toujours disposée
à la bonté et à l'indulgence, lorsque l'intégrité
de ses droits et la sainteté de ses devoirs ne sont pas menacées.
Elle n'a donc jamais rien décrété sur le mariage
sans avoir égard à l'état de la
société et à la situation des peuples. Elle a plus
d'une fois adouci, dans la mesure du possible, les rigueurs de ses lois,
lorsqu'il y avait des causes graves et justes.
Elle
n'ignore pas, et elle reconnaît, que le sacrement du mariage, ayant
pour objet la conservation et l'accroissement de la société
humaine, a des relations nécessaires et des points de contact avec
les choses humaines. Celles-ci sont bien des conséquences du mariage,
mais elles rentrent dans l'ordre civil et sont de la compétence
et du ressort des chefs de l'Etat.
Jésus-Christ,
le fondateur de l'Eglise, a voulu sans aucun doute que le pouvoir religieux
fût distinct du pouvoir civil. Chacun d'eux peut, dans sa sphère
propre, agir librement et sans contrainte.
Il
y a toutefois une condition. Comme le requièrent leur avantage
à tous deux et l'intérêt des hommes, l'union et la
concorde doivent régner entre eux. De plus, dans les questions
qui appartiennent pour des motifs différents à la juridiction
et au jugement de l'un et de l'autre, celui à qui les choses humaines
ont été confiées doit dépendre, comme il convient,
de celui qui a la garde des choses célestes.
Cet
arrangement et cette espèce d'harmonie sont ce qu'il y a de mieux
pour les deux pouvoirs. C'est encore le moyen le plus opportun et le plus
efficace de venir en aide aux hommes, en ce qui concerne la conduite de
la vie et l'espérance du salut éternel. Ainsi que Nous l'avons
démontré dans Nos précédentes Encycliques,
de même que l'intelligence de l'homme, en s'accordant avec la foi
chrétienne, s'ennoblit grandement et devient beaucoup plus forte
pour éviter et repousser les erreurs, tandis que de son côté
la foi reçoit de l'intelligence un précieux appui (Aeterni
Patris, 4 août 1879
) ;
de même, le bon accord de l'autorité civile avec le pouvoir
sacré de l'Eglise assure à tous deux de grands avantages.
La première y gagne en dignité et son autorité, ayant
la religion pour guide, ne sera jamais injuste ; l'autre y trouve des
moyens de protection et de défense pour le bien public des fidèles.
D'après
ces considérations, Nous exhortons de nouveau fortement, comme
déjà Nous l'avons fait en d'autres circonstances tous les
chefs d'Etat à la concorde et à l'amitié avec l'Eglise.
Nous leur tendons, en quelque sorte, la main les premiers, avec une bienveillance
paternelle. Nous leur offrons le secours de notre puissance suprême,
dont l'appui leur est à cette époque d'autant plus nécessaire
que le droit de commander, comme s'il avait reçu quelque blessure,
se trouve tout ébranlé dans l'opinion publique. En ce moment,
les esprits sont avides d'une liberté sans frein et secouent avec
une abominable audace le joug de toute autorité, même la
plus légitime. Le salut public demande donc que les deux pouvoirs
associent leurs forces pour prévenir les catastrophes qui menacent
non seulement l'Eglise, mais encore la société civile.
Tout
en recommandant hautement cet accord amical des volontés, et en
priant Dieu, prince de la paix, d'inspirer à tous les hommes l'amour
de la concorde, Nous ne pouvons Nous empêcher, Vénérables
Frères, d'encourager de plus en plus, par Nos exhortations, votre
activité, Votre zèle et votre vigilance, que Nous savons
être si grands. Employez tous vos efforts, toute votre autorité,
afin que, parmi les populations confiées à vos soins, rien
ne vienne altérer ou corrompre la doctrine que Notre-Seigneur Jésus-Christ
et les apôtres, interprètes de la volonté céleste,
nous ont transmise, que l'Eglise catholique a conservée religieusement
et qu'elle veut voir pratiquée par tous les chrétiens et
dans tous les temps.
Prenez
grand soin à ce que les peuples reçoivent abondamment les
préceptes de la sagesse chrétienne. Qu'ils n'oublient jamais
que le mariage a été établi originairement, non par
la volonté des hommes, mais par l'autorité et la volonté
de Dieu, avec cette loi absolue qu'il ne peut exister qu'entre un seul
homme et une seule femme ; que le Christ, auteur de la nouvelle alliance,
a transformé en sacrement cette institution qui était seulement
réglée par la loi naturelle, et qu'il a transmis à
son Eglise le pouvoir législatif et judiciaire sur ce qui concerne
le lien conjugal. Il faut veiller attentivement à ce que les esprits
ne soient pas induits en erreur sur ce point par les trompeuses théories
des adversaires qui voudraient enlever ce pouvoir à l'Eglise.
Tout
le monde doit savoir aussi que chez les chrétiens l'union de l'homme
et de la femme, contractée en dehors du sacrement, n'a ni la validité,
ni la nature d'un vrai mariage. Fût-elle conforme aux lois civiles,
elle n'a cependant d'autre valeur que celle d'une formalité ou
d'un usage introduit par le droit civil. Mais le droit civil ne peut régler
et administrer que les choses qui, dans l'ordre civil, sont des conséquences
du mariage. Or ces conséquences ne peuvent évidemment pas
se produire si leur cause vraie et légitime, c'est-à-dire
le lien nuptial, n'existe pas.
Il
est d'un très grand intérêt pour les époux
de bien connaître toutes ces choses, de s'en pénétrer
et de se les graver dans l'esprit. Ils pourront ainsi, en sûreté
de conscience, se conformer aux lois civiles sur ce point. L'Eglise même
ne s'y oppose pas, parce qu'elle veut et désire que les effets
du mariage soient sauvegardées dans toutes leurs parties, et que
les enfants ne soient aucunement lésés dans leurs intérêts.
Au
milieu de la grande confusion des opinions qui s'insinuent chaque jour
davantage, il faut également savoir qu'il n'est au pouvoir de personne
de rompre le lien d'un mariage conclu et consommé entre chrétiens.
Les époux qui veulent s'engager dans les liens d'un nouveau mariage
avant que la mort n'ait rompu le premier sont donc gravement coupables,
quel que soit le motif invoqué.
Si
les choses en arrivent à ce point que la vie commune ne paraisse
pas pouvoir être supportée plus longtemps, l'Eglise permet
la séparation des deux époux. Mais elle s'efforce d'en adoucir
les inconvénients en prenant tous les moyens et en employant tous
les remèdes en rapport avec la situation des époux, et elle
ne néglige pas de travailler
à leur réconciliation dont jamais elle
ne désespère.
Les
époux pourraient facilement échapper à ces extrémités,
si, au lieu de se laisser emporter par la passion, ils s'approchaient
du mariage avec les dispositions requises après avoir mûrement
pesé les devoirs des époux et les motifs très nobles
du mariage et s'ils n'excitaient pas la colère de Dieu, en anticipant
sur le mariage par une série continuelle de fautes. Pour résumer
tout en peu de mots, la stabilité heureuse et paisible des familles
sera assurée lorsque les époux puiseront l'esprit et la
vie dans la vertu de religion. La religion rend l'âme forte et invincible.
Grâce à elle, les défauts, qui peuvent exister dans
les personnes, la différence des habitudes et des caractères,
le poids des soucis maternels, l'instante sollicitude de l'éducation
des enfants, les peines inséparables de la vie, les malheurs, sont
supportés avec patience, et même avec générosité.
Il
faut aussi veiller à ce qu'on ne se décide pas facilement
à contracter mariage avec des non-catholiques. Lorsque les âmes
sont en désaccord sur la religion, il est bien difficile qu'elles
soient longtemps d'accord sur les autres points. De semblables unions
fournissent l'occasion de participer à des pratiques religieuses
défendues. Elles créent un péril pour la foi de l'époux
catholique. Elles sont un empêchement à la bonne éducation
des enfants, et très souvent elles accoutument les esprits à
tenir pour équivalentes toutes les religions, en leur faisant perdre
le discernement du vrai et du faux. Ce sont autant de raisons de les éviter.
En
dernier lieu, comprenant que personne ne doit être étranger
à Notre charité, Nous recommandons, Vénérables
Frères, à votre autorité, à votre foi et à
votre piété les malheureux qui, dévorés par
le feu des passions et complètement oublieux de leur salut, vivent
dans le désordre, unis par des liens illégitimes. Appliquez
donc les ressources de votre zèle à rappeler ces hommes
à leur devoir. Efforcez-vous de toute manière, soit par
vous-mêmes, soit par l'entremise des uvres constituées
par les gens de bien, de leur faire comprendre leur tort, de les porter
au repentir de leur faute et de les disposer à contracter un mariage
légitime selon le rite catholique.
Il
vous est facile de voir, Vénérables Frères, que les
enseignements et les préceptes que Nous avons jugé à
propos de vous donner par cette lettre, ne sont pas moins utiles à
la conservation de la société civile qu'au salut éternel
des hommes. Plaise à Dieu qu'ils soient acceptés par tous
les esprits avec d'autant plus d'empressement et de docilité qu'ils
sont plus graves et plus importants.
A
cet effet, implorons tous ensemble, par une humble et suppliante prière
le secours de la bienheureuse Vierge Marie Immaculée. Qu'elle se
montre la mère et l'auxiliaire de tous les hommes, en inclinant
les esprits à se soumettre à la foi. Prions avec la même
ardeur Pierre et Paul, princes des apôtres, vainqueurs de la superstition,
semeurs de la vérité. Que, par leur puissante protection,
ils préservent le genre humain du déluge des erreurs renaissantes.
En
attendant, comme présage des faveurs célestes, et en témoignage
de Notre particulière bienveillance, Nous accordons de tout cur,
à vous tous, Vénérables Frères, et aux peuples
confiés à Votre vigilance, la bénédiction
apostolique.
Donné
à Rome, près Saint-Pierre, le 10 février 1880, la
deuxième année de notre pontificat.
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