Depuis le jour où
Nous avons été élevé à la chaire pontificale, la France a été constamment
l’objet de Notre sollicitude et de Notre affection toute particulière.
C’est chez elle, en effet, que, dans le cours des siècles, mû par les
insondables desseins de sa miséricorde sur le monde, Dieu a choisi de
préférence les hommes apostoliques destinés à prêcher la vraie foi jusqu’aux
confins du globe, et à porter la lumière de l’Evangile aux nations encore
plongées dans les ténèbres du paganisme. Il l’a prédestinée à être le
défenseur de son Eglise et l’instrument de ses grandes oeuvres :
Gesta Dei per Francos.
A une si haute mission
correspondent évidemment de nombreux et graves devoirs. Désireux, comme
Nos prédécesseurs, de voir la France accomplir fidèlement le glorieux
mandat dont elle a été chargée, Nous lui avons plusieurs fois déjà, durant
Notre long Pontificat, adressé Nos conseils, Nos encouragements, Nos exhortations.
Nous l’avons fait tout spécialement dans Notre Lettre Encyclique du 8
février 1884, Nobilissima Gallorum gens, et dans Notre Lettre du
16 février 1892, publiée dans l’idiome de la France et qui commence par
ces mots : Au milieu des sollicitudes. Nos paroles ne sont
pas demeurées infructueuses, et Nous savons par vous, Vénérables Frères,
qu’une grande partie du peuple français tient toujours en honneur la foi
de ses ancêtres et remplit avec fidélité les devoirs qu’elle impose. D’autre
part, Nous ne saurions ignorer que les ennemis de cette foi sainte ne
sont pas demeurés inactifs, et qu’ils sont parvenus à bannir tout principe
de religion d’un grand nombre de familles, qui, par suite, vivent dans
une lamentable ignorance de la vérité révélée et dans une complète indifférence
pour tout ce qui touche à leurs intérêts spirituels et au salut de leurs
âmes.
Si donc, et à bon
droit, Nous félicitons la France d’être pour les nations infidèles un
foyer d’apostolat, Nous devons encourager aussi les efforts de ceux de
ses fils qui, enrôlés dans le sacerdoce de Jésus-Christ, travaillent à
évangéliser leurs compatriotes, à les prémunir contre l’envahissement
du naturalisme et de l’incrédulité, avec leurs funestes et inévitables
conséquences. Appelés par la volonté de Dieu à être les sauveurs du monde,
les prêtres doivent tout toujours, et avant tout, se rappeler qu’ils sont,
de par l’institution même de Jésus-Christ, " le sel de la terre "
(Mt 5, 13),
d’où saint Paul, écrivant à son disciple Timothée, conclut
avec raison qu’ils doivent être l’exemple des fidèles dans leurs paroles
et dans leurs rapports avec le prochain, par leur charité, leur foi et
leur pureté (1 Tm 4, 12) ".
Qu’il en soit ainsi
du clergé de France, pris dans son ensemble, ce Nous est toujours, Vénérables
Frères, une grande consolation de l’apprendre, soit par les relations
quadriennales que vous Nous envoyez sur l’état de vos diocèses, conformément
à la Constitution de Sixte-Quint ; soit par les communications orales
que Nous recevons de vous, lorsque Nous avons la joie de Nous entretenir
avec vous et de recevoir vos confidences : Oui, la dignité de la
vie, l’ardeur de la foi, l’esprit de dévouement et de sacrifice, l’élan
et la générosité du zèle, la charité inépuisable envers le prochain, l’énergie
dans toutes les nobles et fécondes entreprises qui ont pour but la gloire
de Dieu, le salut des âmes, le bonheur de la patrie : telles sont
les traditionnelles et précieuses qualités du clergé français, auxquelles
Nous sommes heureux de pouvoir rendre ici un public et paternel témoignage.
Toutefois, en raison
même de la tendre et profonde affection que Nous lui portons, tout à la
fois pour satisfaire au devoir de Notre ministère apostolique, et pour
répondre à Notre vif désir de le voir demeurer toujours à la hauteur de
sa grande mission, Nous avons résolu, Vénérables Frères, de traiter dans
la présente Lettre quelques points que les circonstances actuelles recommandent
de la façon la plus instante à la consciencieuse attention des premiers
pasteurs de l’Eglise de France et des prêtres qui travaillent sous leur
autorité.
C’est d’abord chose
évidente que, plus un office est relevé, complexe, difficile, plus longue
et plus soignée doit être la préparation de ceux qui sont appelés à le
remplir. Or, existe-t-il sur la terre une dignité plus haute que celle
du sacerdoce et un ministère imposant une plus lourde responsabilité,
que celui qui a pour objet la sanctification de tous les actes libres
de l’homme ? N’est-ce pas du gouvernement des âmes que les Pères
ont dit, avec raison, que c’est " l’art des arts ",
c’est-à-dire le plus important et le plus délicat de tous les labeurs
auxquels un homme puisse être appliqué au profit de ses semblables, ars
artium regimen animarum ? 1 Rien donc ne devra
être négligé pour préparer à remplir dignement et fructueusement une telle
mission, ceux qu’une vocation divine y appelle.
Avant toute chose,
il convient de discerner, parmi les jeunes enfants, ceux en qui le Très
Haut a déposé le germe d’une semblable vocation. Nous savons que, dans
un certain nombre de diocèses de France, grâce à vos sages recommandations,
les prêtres des paroisses, surtout dans les campagnes, s’appliquent, avec
un zèle et une abnégation que Nous ne saurions trop louer, à commencer
eux-mêmes les études élémentaires des enfants dans lesquels ils ont remarqué
des dispositions sérieuses à la piété et des aptitudes au travail intellectuel.
Les écoles presbytérales sont ainsi comme le premier degré de cette échelle
ascendante qui, d’abord par les Petits, puis par les Grands Séminaires,
fera monter jusqu’au sacerdoce les jeunes gens auxquels le Sauveur a répété
l’appel adressé à Pierre et à André, à Jean et à Jacques : " Laissez
vos filets ; suivez-moi ; je veux faire de vous des pêcheurs
d’hommes " (Mt 4, 19).
Quant aux Petits Séminaires,
cette très salutaire institution a été souvent et justement comparée à
ces pépinières ou sont mises à part les plantes qui réclament des soins
plus spéciaux et plus assidus, moyennant lesquels, seuls, elles peuvent
porter des fruits et dédommager de leurs peines ceux qui s’appliquent
à les cultiver. Nous renouvelons, à cet égard, la recommandation que,
dans son Encyclique du 8 décembre 1849, Notre prédécesseur, Pie IX, adressait
aux évêques. Elle se référait elle-même à une des plus importantes décisions
des Pères du saint Concile de Trente. C’est la gloire de l’Eglise de France,
dans le siècle présent, d’en avoir tenu le plus grand compte, puisqu’il
n’est pas un seul des 94 diocèses dont elle se compose qui ne soit doté
d’un ou de plusieurs Petits Séminaires.
Nous savons, vénérables
Frères, de quelles sollicitudes vous entourez ces institutions si justement
chères à votre zèle pastoral, et Nous vous en félicitons. Les prêtres
qui, sous votre haute direction, travaillent à la formation de la jeunesse
appelée à s’enrôler plus tard dans les rangs de la milice sacerdotale,
ne sauraient trop souvent méditer devant Dieu l’importance exceptionnelle
de la mission que vous leur confiez. Il ne s’agit pas pour eux, comme
pour le commun des maîtres, d’enseigner simplement à ces enfants les éléments
des lettres et des sciences humaines. Ce n’est là que la moindre partie
de leur tâche. Il faut que leur attention, leur zèle, leur dévouement
soient sans cesse en éveil et en action, d’une part, pour étudier continuellement
sous le regard et dans la lumière de Dieu les âmes des enfants et les
indices significatifs de leur vocation au service des autels ; de
l’autre, pour aider l’inexpérience et la faiblesse de leurs jeunes disciples,
à protéger la grâce si précieuse de l’appel divin contre toutes les influences
funestes, soit du dehors, soit du dedans. Ils ont donc à remplir un ministère
humble, laborieux, délicat, qui exige une constante abnégation. Afin de
soutenir leur courage dans l’accomplissement de leurs devoirs, ils auront
soin de le retremper aux sources les plus pures de l’esprit. de foi. Ils
ne perdront jamais de vue qu’ils n’ont point à préparer pour des fonctions
terrestres, si légitimes et honorables soient-elles les enfants dont ils
forment l’intelligence, le coeur, le caractère. L’Eglise les leur confie
pour qu’ils deviennent capables un jour d’être des prêtres, c’est-à-dire
des missionnaires de l’Evangile, des continuateurs de l’oeuvre de Jésus-Christ,
des distributeurs de sa grâce et de ses sacrements. Que cette considération,
toute surnaturelle, se mêle incessamment à leur double action de professeurs
et d’éducateurs, et soit comme ce levain qu’il faut mélanger au meilleur
froment, suivant la parabole évangélique, pour les transformer en un pain
savoureux et substantiel (cf. Mt 13, 33).
Si la préoccupation
constante d’une première et indispensable formation à l’esprit et aux
vertus du sacerdoce doit inspirer les maîtres de vos Petits Séminaires
dans leurs relations avec leurs élèves, c’est à cette même idée principale
et directrice que se rapporteront le plan des études et toute l’économie
de la discipline. Nous n’ignorons pas, Vénérables Frères, que dans une
certaine mesure, vous êtes obligés de compter avec les programmes de l’Etat
et les conditions mises par lui à l’obtention des grades universitaires,
puisque, dans un certain nombre de cas, ces grades sont exigés des prêtres
employés soit à la direction des collèges libres placés sous la tutelle
des évêques et des Congrégations religieuses, soit à l’enseignement supérieur
dans les Facultés catholiques que vous avez si louablement fondées. Il
est, d’ailleurs, d’un intérêt souverain, pour maintenir l’influence du
clergé sur la société, qu’il compte dans ses rangs un assez grand nombre
de prêtres ne le cédant en rien pour la science, dont les grades sont
la constatation officielle, aux maîtres que l’Etat forme pour ses lycées
et ses Universités.
Toutefois, et après
avoir fait à cette exigence des programmes la part qu’imposent les circonstances,
il faut que les études des aspirants au sacerdoce demeurent fidèles aux
méthodes traditionnelles des siècles passés. Ce sont elles qui ont formé
les hommes éminents dont l’Eglise de France est fière à si juste titre,
les Pétau, les Thomassin, les Mabillon et tant d’autres, sans parler de
votre Bossuet, appelé l’aigle de Meaux, parce que, soit par l’élévation
des pensées, soit par la noblesse du langage, son génie plane dans les
plus sublimes régions de la science et de l’éloquence chrétienne. Or,
c’est l’étude des belles-lettres qui a puissamment aidé ces hommes à devenir
de très vaillants et utiles ouvriers au service de l’Eglise, et les a
rendus capables de composer des ouvrages vraiment dignes de passer à la
postérité et qui contribuent encore de nos jours à la défense et à la
diffusion de la vérité révélée. En effet, c’est le propre des belles-lettres,
quand elles sont enseignées par des maîtres chrétiens et habiles, de développer
rapidement dans l’âme des jeunes gens tous les germes de vie intellectuelle
et morale, en même temps qu’elles contribuent à donner au jugement de
la rectitude et de l’ampleur, et au langage, de l’élégance et de la distinction.
Cette considération
acquiert une importance spéciale quand il s’agit des littératures grecque
et latine, dépositaires des chefs-d’oeuvre de science sacrée que l’Eglise
compte à bon droit parmi ses plus précieux trésors. Il y a un demi-siècle,
pendant cette période trop courte de véritable liberté, durant laquelle
les évêques de France pouvaient se réunir et concerter les mesures qu’ils
estimaient les plus propres à favoriser les progrès de la religion et,
du même coup, les plus profitables à la paix publique, plusieurs de vos
Conciles provinciaux, Vénérables Frères, recommandèrent de la façon la
plus expresse la culture de la langue et de la littérature latines. Vos
collègues d’alors déploraient déjà que, dans votre pays, la connaissance
du latin tendît à décroître 2.
Si, depuis plusieurs
années, les méthodes pédagogiques en vigueur dans les établissements de
l’Etat réduisent progressivement l’étude de la langue latine, et suppriment
des exercices de prose et de poésie que nos devanciers estimaient à bon
droit devoir tenir une grande place dans les classes des collèges, les
Petits Séminaires se mettront en garde contre ces innovations inspirées
par des préoccupations utilitaires, et qui tournent au détriment de la
solide formation de l’esprit. A ces anciennes méthodes, tant de fois justifiées
par leurs résultats, Nous appliquerions volontiers le mot de saint Paul
à son disciple Timothée, et, avec l’Apôtre, Nous vous dirions, Vénérables
Frères : " Gardez-en le dépôt " (1 Tm
6, 20) avec un soin jaloux. Si un jour, ce qu’à Dieu ne plaise, elles
devaient disparaître complètement des autres écoles publiques, que vos
Petits Séminaires et collèges libres les gardent avec une intelligente
et patriotique sollicitude. Vous imiterez ainsi les prêtres de Jérusalem
qui, voulant soustraire à de barbares envahisseurs le feu sacré du Temple,
le cachèrent de manière à pouvoir le retrouver et à lui rendre toute sa
splendeur, quand les mauvais jours seraient passés (cf. 2 M 1,
19. 22).
Une fois en possession
de la langue latine, qui est comme la clef de la science sacrée, et les
facultés de l’esprit suffisamment développées par l’étude des belles-lettres,
les jeunes gens qui se destinent au sacerdoce passent du Petit au Grand
Séminaire. Ils s’y prépareront, par la piété et l’exercice des vertus
cléricales, à la réception des saints Ordres, en même temps qu’ils s’y
livreront à l’étude de la philosophie et de la théologie.
Nous le disions dans
Notre Encyclique Aeterni Patris, dont Nous recommandons de nouveau
la lecture attentive à vos séminaristes et à leurs maîtres, et Nous le
disions en Nous appuyant sur l’autorité de saint Paul c’est par les vaines
subtilités de la mauvaise philosophie, per philosophiam et inanem fallaciam
(Col 2, 8), que l’esprit des fidèles se laisse le plus souvent
tromper, et que la pureté de la foi se corrompt parmi les hommes. Nous
ajoutions, et les événements accomplis depuis vingt ans ont bien tristement
confirmé les réflexions et les appréhensions que Nous exprimions alors :
" Si l’on fait attention aux conditions critiques du temps où nous
vivons, si l’on embrasse par la pensée l’état des affaires tant publiques
que privées, on découvrira sans peine que la cause des maux qui nous oppriment,
comme de ceux qui nous menacent, consiste en ceci : que des opinions
erronées sur toutes choses, divines et humaines, des écoles des philosophes
se sont peu à peu glissées dans tous les rangs de la société et sont arrivées
à se faire accepter d’un grand nombre d’esprits 3. "
Nous réprouvons de
nouveau ces doctrines qui n’ont de la vraie philosophie que le nom, et
qui, ébranlant la base même du savoir humain, conduisent logiquement au
scepticisme universel et à l’irréligion. Ce nous est une profonde douleur
d’apprendre que, depuis quelques années, des catholiques ont cru pouvoir
se mettre à la remorque d’une philosophie qui, sous le spécieux prétexte
d’affranchir la raison humaine de toute idée préconçue et de toute illusion,
lui dénie le droit de rien affirmer au delà de ses propres opérations,
sacrifiant ainsi à un subjectivisme radical toutes les certitudes que
la métaphysique traditionnelle, consacrée par l’autorité des plus vigoureux
esprits, donnait comme nécessaires et inébranlables fondements à la démonstration
de l’existence de Dieu, de la spiritualité et de l’immortalité de l’âme,
et de la réalité objective du monde extérieur. Il est profondément regrettable
que ce scepticisme doctrinal, d’importation étrangère et d’origine protestante,
ait pu être accueilli avec tant de faveur dans un pays justement célèbre
par son amour pour la clarté des idées et pour celle du langage. Nous
savons, Vénérables Frères, à quel point vous partagez là-dessus Nos justes
préoccupations et Nous comptons que vous redoublerez de sollicitude et
de vigilance pour écarter de l’enseignement de vos Séminaires cette fallacieuse
et dangereuse philosophie, mettant plus que jamais en honneur les méthodes
que Nous recommandions dans Notre Encyclique précitée du 4 août 1879.
Moins que jamais,
à notre époque, les élèves de vos Petits et de vos Grands Séminaires ne
sauraient demeurer étrangers à l’étude des sciences physiques et naturelles.
II convient donc qu’ils y soient appliqués, mais avec mesure et dans de
sages proportions. II n’est donc nullement nécessaire que, dans les cours
de sciences, annexes à l’étude de la philosophie, les professeurs se croient
obligés d’exposer en détail les applications presque innombrables des
sciences physiques et naturelles aux diverses branches de l’industrie
humaine. Il suffit que leurs élèves en connaissent avec précision les
grands principes et les conclusions sommaires, afin d’être en état de
résoudre les objections que les incrédules tirent de ces sciences contre
les enseignements de la révélation.
Par-dessus tout, il
importe que, durant deux ans au moins, les élèves de vos Grands Séminaires
étudient avec un soin assidu la philosophie rationnelle, laquelle,
disait un savant Bénédictin, l’honneur de son Ordre et de la France, D.
Mabillon, leur sera d’un si grand secours, non seulement pour leur apprendre
à bien raisonner et à porter de justes jugements, mais pour les mettre
à même de défendre la foi orthodoxe contre les arguments captieux et souvent
sophistiques des adversaires 4.
Viennent ensuite les
sciences sacrées proprement dites, à savoir la Théologie dogmatique et
la Théologie morale, l’Ecriture Sainte, l’Histoire ecclésiastique et le
Droit Canon. Ce sont là les sciences propres au prêtre. Il en reçoit une
première initiation pendant son séjour au Grand Séminaire ; il devra
en poursuivre l’étude tout le reste de sa vie.
La théologie, c’est
la science des choses de la foi. Elle s’alimente, nous dit le pape Sixte—Quint,
à ces sources toujours jaillissantes qui sont les Saintes Ecritures, les
décisions des Papes, les décrets des Conciles 5.
Appelée positive et
spéculative, ou scolastique, suivant la méthode qu’on emploie pour l’étudier,
la théologie ne se borne bas à proposer les vérités à croire ; elle
en scrute le fond intime, elle en montre les rapports avec la raison humaine,
et, à l’aide des ressources que lui fournit la vraie philosophie, elle
les explique, les développe, et les adapte exactement à tous les besoins
de la défense et de la propagation de la foi. A l’instar de Béléséel,
à qui le Seigneur avait donné son esprit de sagesse, d’intelligence et
de science, en lui confiant la mission de bâtir son temple, le théologien
" taille les pierres précieuses des divins dogmes, les assortit
avec art, et, par l’encadrement dans lequel il les place, en fait ressortir
l’éclat, le charme et la beauté 6 ".
C’est donc avec raison
que le même Sixte-Quint appelle cette théologie (et il parle spécialement
ici de la théologie scolastique) un don du ciel et demande qu’elle soit
maintenue dans les écoles et cultivée avec une grande ardeur, comme étant
ce qu’il y a de plus fructueux pour l’Eglise 7.
Est-il besoin d’ajouter
que le livre par excellence ou les élèves pourront étudier avec plus de
profit la théologie scolastique est la Somme Théologique de saint
Thomas d’Aquin ? Nous voulons donc que les professeurs aient soin
d’en expliquer à tous leurs élèves la méthode, ainsi que les principaux
articles relatifs à la foi catholique.
Nous recommandons
également que tous les séminaristes aient entre les mains et relisent
souvent le livre d’or, connu sous le nom de Catéchisme du saint Concile
de Trente ou Catéchisme romain, dédié à tous les prêtres investis
de la charge pastorale (Catechismus ad parochos). Remarquable
à la fois par la richesse et l’exactitude de la doctrine et par l’élégance
du style, ce catéchisme est un précieux abrégé de toute la théologie dogmatique
et morale. Qui le posséderait à fond aurait toujours à sa disposition
les ressources à l’aide desquelles un prêtre peut prêcher avec fruit,
s’acquitter dignement de l’important ministère de la confession et de
la direction des âmes, et être en état de réfuter victorieusement les
objections des incrédules.
Au sujet de l’étude
des Saintes Ecritures, Nous appelons de nouveau votre attention, Vénérables
Frères, sur les enseignements que Nous avons donnés dans Notre Encyclique
Providentissimus Deus 8, dont nous désirons que
les professeurs donnent connaissance à leurs disciples, en y ajoutant
les explications nécessaires. Ils les mettront spécialement en garde contre
des tendances inquiétantes qui cherchent à s’introduire dans l’interprétation
de la Bible, et qui, si elles venaient à prévaloir, ne tarderaient pas
à en ruiner l’inspiration et le caractère surnaturels. Sous le spécieux
prétexte d’enlever aux adversaires de la parole révélée l’usage d’arguments
qui semblaient irréfutables contre l’authenticité et la véracité des Livres
Saints, des écrivains catholiques ont cru très habile de prendre ces arguments
à leur compte. En vertu de cette étrange et périlleuse tactique, ils ont
travaillé, de leurs propres mains, à faire des brèches dans les murailles
de la cité qu’ils avaient mission de défendre. Dans Notre Encyclique précitée,
ainsi que dans un autre document 9, Nous avons fait justice
de ces dangereuses témérités. Tout en encourageant nos exégètes à se tenir
au courant des progrès de la critique, Nous avons fermement maintenu les
principes sanctionnés en cette matière par l’autorité traditionnelle des
Pères et des Conciles, et renouvelés de nos jours par le Concile du Vatican.
L’historien de l’Eglise
sera d’autant plus fort pour faire ressortir son origine divine, supérieure
à tout concept d’ordre purement terrestre et naturel, qu’il aura été plus
loyal à ne rien dissimuler des épreuves que les fautes de ses enfants,
et parfois même de ses ministres, ont fait subir à cette Epouse du Christ
dans le cours des siècles. Etudiée de cette façon, l’histoire de l’Eglise,
à elle toute seule, constitue une magnifique et concluante démonstration
de la vérité et de la divinité du christianisme.
L’histoire de l’Eglise
est comme un miroir où resplendit la vie de l’Eglise à travers les siècles.
Bien plus encore que l’histoire civile et profane, elle démontre la souveraine
liberté de Dieu et son action providentielle sur la marche des événements.
Ceux qui l’étudient ne doivent jamais perdre de vue qu’elle renferme un
ensemble de faits dogmatiques, qui s’imposent à la foi et qu’il n’est
permis à personne de révoquer en doute. Cette idée directrice et surnaturelle
qui préside aux destinées de l’Eglise est en même temps le flambeau dont
la lumière éclaire son histoire. Toutefois, et parce que l’Eglise, qui
continue parmi les hommes la vie du Verbe incarné, se compose d’un élément
divin et d’un élément humain, ce dernier doit être exposé par les élèves
avec une grande probité. Comme il est dit au livre de Job : "
Dieu n’a pas besoin de nos mensonges (Jb 13, 77) 10. "
Enfin, pour achever
le cycle des études par lesquelles les candidats au sacerdoce doivent
se préparer à leur futur ministère, il faut mentionner le droit canonique,
ou science des lois et de la jurisprudence de l’Eglise. Cette science
se rattache par des liens très intimes et très logiques à celle de la
théologie, dont elle montre les applications pratiques à tout ce qui concerne
le gouvernement de l’Eglise, la dispensation des choses saintes, les droits
et les devoirs de ses ministres, l’usage des biens temporels, dont elle
a besoin pour l’accomplissement de sa mission. " Sans la connaissance
du droit canonique (disaient fort bien les Pères d’un de vos Conciles
provinciaux), la théologie est imparfaite, incomplète, semblable à un
homme qui serait privé d’un bras. C’est l’ignorance du droit canon qui
a favorisé la naissance et la diffusion de nombreuses erreurs sur les
droits des Pontifes Romains, sur ceux des évêques et sur la puissance
que l’Eglise tient de sa propre constitution, dont elle proportionne l’exercice
aux circonstances 11.
Nous résumerons tout
ce que Nous venons de dire sur vos Petits et vos Grands Séminaires par
cette parole de saint Paul, que Nous recommandons à la fréquente méditation
des maîtres et des élèves de vos athénées ecclésiastiques : "
O Timothée, gardez avec soin le dépôt qui vous a été confié. Fuyez les
profanes nouveautés de paroles et les objections qui se couvrent du faux
nom de science ; car tout ceux qui en ont fait profession ont erré
au sujet de la foi (1 Tm 6, 20-21) 12. "
C’est à vous maintenant,
très chers Fils, qui, ordonnés prêtres, êtes devenus les coopérateurs
de vos évêques, c’est à vous que Nous voulons adresser la parole. Nous
connaissons, et le monde entier connaît comme Nous, les qualités qui vous
distinguent. Pas une bonne oeuvre dont vous ne soyez ou les inspirateurs
ou les apôtres. Dociles aux conseils que Nous avons donnés dans Notre
Encyclique Rerum Novarum, vous allez au peuple, aux ouvriers, aux
pauvres. Vous cherchez par tous les moyens à leur venir en aide, à les
moraliser et à rendre leur sort moins dur. Dans ce but, vous provoquez
des réunions et des Congrès ; vous fondez des patronages, des cercles,
des caisses rurales, des bureaux d’assistance et de placement pour les
travailleurs. Vous vous ingéniez à introduire des réformes dans l’ordre
économique et social, et, pour un si difficile labeur, vous n’hésitez
pas à faire de notables sacrifices de temps et d’argent. C’est encore
pour cela que vous écrivez des livres ou des articles dans les journaux
et les revues périodiques. Toutes ces choses, en elles-mêmes, sont très
louables, et vous y donnez des preuves non équivoques de bon vouloir,
d’intelligent et généreux dévouement aux besoins les plus pressants de
la société contemporaine et des âmes.
Toutefois, très chers
Fils, Nous croyons devoir appeler paternellement votre attention sur quelques
principes fondamentaux, auxquels vous ne manquerez pas de vous conformer,
si vous voulez que votre action soit réellement fructueuse et féconde.
Souvenez-vous avant
toute chose que, pour être profitable au bien et digne d’être loué, le
zèle doit être " accompagné de discrétion, de rectitude et de
pureté ". Ainsi s’exprime le grave et judicieux Thomas a Kempis 13.
Avant lui, saint Bernard, la gloire de votre pays au XIIe siècle, cet
apôtre infatigable de toutes les grandes causes qui touchaient à l’honneur
de Dieu, aux droits de l’Eglise, au bien des âmes, n’avait pas craint
de dire que, séparé de la science et de l’esprit de discernement ou de
discrétion, le zèle est insupportable ... que plus le zèle est ardent,
plus il est nécessaire qu’il soit accompagné de cette discrétion qui met
l’ordre dans l’exercice de la charité, et sans laquelle la vertu elle-même
peut devenir un défaut et un principe de désordre 14 ".
Mais la discrétion
dans les oeuvres et dans le choix des moyens pour les faire réussir est
d’autant plus indispensable que les temps présents sont plus troublés
et hérissés de difficultés plus nombreuses. Tel acte, telle mesure, telle
pratique de zèle pourront être excellents en eux-mêmes, lesquels, vu les
circonstances, ne produiront que des résultats fâcheux. Les prêtres éviteront
cet inconvénient et ce malheur si, avant d’agir et dans l’action, ils
ont soin de se conformer à l’ordre établi et aux règles de la discipline.
Or, la discipline ecclésiastique exige l’union entre les divers membres
de la hiérarchie, le respect et l’obéissance des inférieurs à l’égard
des supérieurs. Nous le disions naguère dans Nos lettres à l’archevêque
de Tours : " L’édifice de l’Eglise, dont Dieu lui-même
est l’architecte, repose sur un très visible fondement, d’abord sur l’autorité
de Pierre et de ses successeurs, mais aussi sur les apôtres, et les successeurs
des apôtres, qui sont les évêques ; de telle sorte qu’écouter leur
voix ou la mépriser équivaut à écouter ou à mépriser Jésus-Christ lui-même 15. "
Ecoutez donc les paroles
adressées par le grand martyr d’Antioche, saint Ignace, au clergé de l’Eglise
primitive : " Que tous obéissent à leur Evêque comme Jésus-Christ
a obéi à son Père. Ne faites en dehors de votre évêque rien de ce qui
touche au service de l’Eglise, et de même que Notre-Seigneur n’a rien
fait que dans une étroite union avec son Père, vous, prêtres, ne faites
rien sans votre évêque. Que tous les membres du corps presbytéral lui
soient unis, de même que sont unies à la harpe toutes les cordes de l’instrument
16. "
Si, au contraire,
vous agissiez, comme prêtres, en dehors de cette soumission et de cette
union à vos évêques, Nous vous répéterions ce que disait Notre prédécesseur
Grégoire XVI, à savoir que, " autant qu’il dépend de votre pouvoir,
vous détruisez de fond en comble l’ordre établi avec une si sage prévoyance
par Dieu, auteur de 1’Eglise 17.
Souvenez-vous encore,
Nos chers Fils, que l’Eglise est avec raison comparée à une armée rangée
en bataille, sicut castrorum acies ordinata (Ct 6, 3), parce
qu’elle a pour mission de combattre les ennemis visibles et invisibles
de Dieu et des âmes. Voilà pourquoi saint Paul recommandait à Timothée
de se comporter " comme un bon soldat du Christ Jésus (2
Tm 2, 3) ". Or, ce qui fait la force d’une armée et contribue
le plus à la victoire, c’est la discipline, c’est l’obéissance exacte
et rigoureuse de tous, à ceux qui ont la charge de commander.
C’est bien ici que
le zèle intempestif et sans discrétion peut aisément devenir la cause
de véritables désastres. Rappelez-vous un des faits les plus mémorables
de l’Histoire Sainte. Assurément, ils ne manquaient ni de courage, ni
de bon vouloir, ni de dévouement à la cause sacrée de la religion, ces
prêtres qui s’étaient groupés autour de Judas Machabée pour combattre
avec lui les ennemis du vrai Dieu, les profanateurs du temple, les oppresseurs
de leur nation. Toutefois, ayant voulu s’affranchir des règles de la discipline,
ils s’engagèrent témérairement dans un combat où ils furent vaincus. L’Esprit-Saint
nous dit d’eux "
qu’ils n’étaient pas de la race de ceux qui pouvaient sauver
Israël. — Pourquoi ? parce qu’ils avaient voulu n’obéir qu’à leurs
propres inspirations et s’étaient jetés en avant sans attendre les ordres
de leurs chefs. In die illa ceciderunt sacerdotes in bello dum volunt
fortiter facere, dum sine consilio exeunt in proelium. Ipsi autem non
erant de semine virorum illorum, per quos salus facta est in Israel (1
M 5, 67. 62).
A cet égard, nos ennemis
peuvent nous servir d’exemple. Ils savent très bien que l’union fait la
force, vis unita fortior ; aussi, ne manquent-ils pas de s’unir
étroitement, dès qu’il s’agit de combattre la sainte Eglise de Jésus-Christ.
Si donc, Nos chers
Fils, comme tel est certainement votre cas, vous désirez que, dans la
lutte formidable engagée contre l’Eglise par les sectes antichrétiennes
et par la cité du démon, la victoire reste à Dieu et à son Eglise, il
est d’une absolue nécessité que vous combattiez tous ensemble, en grand
ordre et en exacte discipline, sous le commandement de vos chefs hiérarchiques.
N’écoutez pas ces hommes néfastes qui, tout en se disant chrétiens et
catholiques, jettent la zizanie dans le champ du Seigneur et sèment la
division dans son Eglise en attaquant, et souvent même, en calomniant
les évêques, " établis par l’Esprit-Saint pour régir l’Eglise
de Dieu (Ac 20, 28). " Ne lisez ni leurs brochures, ni
leurs journaux. Un bon prêtre ne doit autoriser en aucune manière ni leurs
idées, ni la licence de leur langage. Pourrait-il jamais oublier que,
le jour de son ordination, il a solennellement promis à son évêque, en
face des saints autels, obedientiam et reverentiam ?
Par-dessus tout, Nos
chers Fils, rappelez-vous que la condition indispensable du vrai zèle
sacerdotal et le meilleur gage de succès dans les oeuvres auxquelles l’obéissance
hiérarchique vous consacre, c’est la pureté et la sainteté de la vie.
" Jésus a commencé par faire avant d’enseigner (Ac 1,
1). " Comme lui, c’est par la prédication de l’exemple que le
prêtre doit préluder à la prédication de la parole. " Séparés
du siècle et de ses affaires (disent les Pères du saint Concile de Trente),
les clercs ont été placés à une hauteur qui les met en évidence, et les
fidèles regardent dans leur vie comme dans un miroir pour savoir ce qu’ils
doivent imiter. C’est pourquoi les clercs, et tous ceux que Dieu a spécialement
appelés à son service, doivent si bien régler leurs actions et leurs moeurs
que dans leur manière d’être, leurs mouvements, leurs démarches, leurs
paroles et tous les autres détails de leur vie, il n’y ait rien qui ne
soit grave, modeste, profondément empreint de religion. Ils éviteront
les fautes qui, légères chez les autres, seraient très graves pour eux,
afin qu’il n’y ait pas un seul de leurs actes qui n’inspire à tous le
respect 18. "
A ces recommandations
du saint Concile, que Nous voudrions, Nos chers Fils, graver dans tous
vos coeurs, manqueraient assurément les prêtres qui adopteraient dans
leurs prédications un langage peu en harmonie avec la dignité de leur
sacerdoce et la sainteté de la parole de Dieu ; qui assisteraient
à des réunions populaires où leur présence ne servirait qu’à exciter les
passions des impies et des ennemis de l’Eglise, et les exposerait eux-mêmes
aux plus grossières injures, sans profit pour personne et au grand étonnement,
sinon au scandale, des pieux fidèles ; qui prendraient les manières
d’être et d’agir, et l’esprit des séculiers. Assurément, le sel a besoin
d’être mélangé à la masse qu’il doit préserver de la corruption, en même
temps que lui-même se défend contre elle, sous peine de perdre toute saveur
et de n’être plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds
(Mt 5, 13).
De même le prêtre,
sel de la terre, dans son contact obligé avec la société qui l’entoure,
doit-il conserver la modestie, la gravité, la sainteté dans son maintien,
ses actes, ses paroles, et ne pas se laisser envahir par la légèreté,
la dissipation, la vanité des gens du monde. Il faut, au contraire, qu’au
milieu des hommes il conserve son âme si unie à Dieu, qu’il n’y perde
rien de l’esprit de son saint état et ne soit pas contraint de faire devant
Dieu et devant sa conscience ce triste et humiliant aveu : " Toutes les fois que j’ai été parmi
les laïques, j’en suis revenu moins prêtre. "
Ne serait-ce pas pour
avoir, par un zèle présomptueux, mis de côté ces règles traditionnelles
de la discrétion, de la modestie, de la prudence sacerdotales, que certains
prêtres traitent de surannés, d’incompatibles avec les besoins du ministère
dans le temps ou nous vivons, les principes de discipline et de conduite
qu’ils ont reçus de leurs maîtres du grand Séminaire ? On les voit
aller, comme d’instinct, au-devant des innovations les plus périlleuses
de langage, d’allures, de relations. Plusieurs, hélas ! engagés témérairement
sur des pentes glissantes, où, par eux-mêmes, ils n’avaient pas la force
de se retenir, méprisant les avertissements charitables de leurs supérieurs
ou de leurs confrères plus anciens ou plus expérimentés, ont abouti à
des apostasies qui ont réjoui les adversaires de l’Eglise et fait verser
des larmes bien amères à leurs évêques, à leurs frères dans le sacerdoce
et aux pieux fidèles. Saint Augustin nous le dit : Plus on marche
avec force et rapidité quand on est en dehors du bon chemin, et plus on
s’égare 19. "
Assurément, il y a
des nouveautés avantageuses, propres à faire avancer le royaume de Dieu
dans les âmes et dans la société. Mais, nous dit le saint Evangile (Mt
13, 52), c’est au Père de famille, et non aux enfants et aux serviteurs,
qu’il appartient de les examiner, et, s’il le juge à propos, de leur donner
droit de cité, à côté des usages anciens et vénérables qui composent l’autre
partie de son trésor.
Lorsque, naguère,
Nous remplissions le devoir apostolique de mettre les catholiques de l’Amérique
du Nord en garde contre des innovations tendant, entre autres choses,
à substituer aux principes de perfection consacrés par l’enseignement
des docteurs et par la pratique des saints, des maximes ou des règles
de vie morale plus ou moins imprégnées de ce naturalisme qui, de nos jours,
tend à pénétrer partout, Nous avons hautement proclamé que, loin de répudier
et de rejeter en bloc les progrès accomplis dans les temps présents, Nous
voulions accueillir très volontiers tout ce qui peut augmenter le patrimoine
de la science ou généraliser davantage les conditions de la prospérité
publique. Mais Nous avions soin d’ajouter que ces progrès ne pouvaient
servir efficacement la cause du bien, si l’on mettait de côté la sage
autorité de l’Eglise 20.
En terminant ces lettres,
il Nous plaît d’appliquer au clergé de France, ce que Nous écrivions jadis
aux prêtres de Notre diocèse de Pérouse. Nous reproduisons ici une partie
de la Lettre pastorale que Nous leur adressions le 19 juillet 1866.
" Nous demandons
aux ecclésiastiques de notre diocèse de réfléchir sérieusement sur leurs
sublimes obligations, sur les circonstances difficiles que nous traversons,
et de faire en sorte que leur conduite soit en harmonie avec leurs devoirs
et toujours conforme aux règles d’un zèle éclairé et prudent. Ainsi ceux-là
même qui sont nos ennemis chercheront en vain des motifs de reproche et
de blâme : qui ex adverso est, vereatur nihil habens malum dicere
de nobis (Tt 2, 8).
" Bien que
les difficultés et les périls se multiplient de jour en jour, le prêtre
pieux et fervent ne doit pas pour cela se décourager, il ne doit pas abandonner
ses devoirs, ni même s’arrêter dans l’accomplissement de la mission spirituelle
qu’il a reçue pour le bien, pour le salut de l’humanité, et pour le maintien
de cette auguste religion dont il est le héraut et le ministre. Car c’est
surtout dans les difficultés, dans les épreuves, que sa vertu s’affirme
et se fortifie : c’est dans les plus grands malheurs, au milieu des
transformations politiques et des bouleversements sociaux, que l’action
bienfaisante et civilisatrice de son ministère se manifeste avec plus
d’éclat.
" ... Pour
en venir à la pratique, nous trouvons un enseignement parfaitement adapté
aux circonstances dans les quatre maximes que le grand apôtre saint Paul
donnait à son disciple Tite. En toutes choses, donnez le bon exemple par
vos oeuvres, par votre doctrine, par l’intégrité de votre vie, par la
gravité de votre conduite, en ne faisant usage que de paroles saintes
et irrépréhensibles (In omnibus teipsum praebe exemplum bonorum operum,
in doctrina, in integritate, in gravitate, verbum sanum, irreprehensibile
- Tt 2, 7-8). Nous voudrions que chacun des membres de notre clergé
méditât ces maximes et y conformât sa conduite.
" In
omnibus teipsum praebe exemplum bonorum operum. En toutes choses donnez
l’exemple des bonnes oeuvres, c’est-à-dire d’une vie exemplaire et active,
animée d’un véritable esprit de charité et guidée par les maximes de la
prudence évangélique ; d’une vie de sacrifice et de travail, consacrée
à faire du bien au prochain, non pas dans des vues terrestres et pour
une récompense périssable, mais dans un but surnaturel. Donnez l’exemple
de ce langage à la fois simple, noble et élevé, de cette parole saine
et irrépréhensible, qui confond toute opposition humaine, apaise l’antique
haine que nous a vouée le monde, et nous concilie le respect, l’estime
même des ennemis de la religion. Quiconque s’est voué au service du sanctuaire
a été obligé en tout temps de se montrer un vivant modèle, un exemplaire
parfait de toutes les vertus ; mais cette obligation est beaucoup
plus grande lorsque, par suite des bouleversements sociaux, on marche
sur un terrain difficile et incertain, où l’on peut trouver à chaque pas
des embûches et des prétextes d’attaque...
" ... In
doctrina. En présence des efforts combinés de l’incrédulité et de
l’hérésie pour consommer la ruine de la foi catholique, ce serait un vrai
crime pour le clergé de rester hésitant et inactif. Au milieu d’un si
grand débordement d’erreurs, d’un tel conflit d’opinions, il ne peut faillir
à sa mission qui est de défendre le dogme attaqué, la morale travestie
et la justice si souvent méconnue. C’est à lui qu’il appartient de s’opposer
comme une barrière à l’erreur envahissante et à l’hérésie qui se dissimule ;
à lui de surveiller les agissements des fauteurs d’impiété qui s’attaquent
à la foi et à l’honneur de cette contrée catholique ; à lui de démasquer
leurs ruses et de signaler leurs embûches ; à lui de prémunir les
simples, de fortifier les timides, d’ouvrir les yeux aux aveugles. Une
érudition superficielle, une science vulgaire ne suffisent point pour
cela : il faut des études solides, approfondies et continuelles,
en un mot, un ensemble de connaissances doctrinales capables de lutter
avec la subtilité et la singulière astuce de nos modernes contradicteurs...
" ... In
integritate. Rien ne prouve tant l’importance de ce conseil, que la
triste expérience de ce qui se passe autour de nous. Ne voyons-nous pas,
en effet, que la vie relâchée de certains ecclésiastiques discrédite et
fait mépriser leur ministère et occasionne des scandales ? Si des
hommes doués d’un esprit aussi brillant que remarquable désertent parfois
les rangs de la sainte milice et se mettent en révolte contre l’Eglise,
cette mère qui, dans son affectueuse tendresse, les avait préposés au
gouvernement et au salut des âmes, leur défection et leurs égarements
n’ont le plus souvent pour origine que leur indiscipline ou leurs mauvaises
moeurs...
" ... In
gravitate. Par gravité, il faut entendre cette conduite sérieuse,
pleine de jugement et de tact qui doit être propre au ministre fidèle
et prudent que Dieu a choisi pour le gouvernement de sa famille. Celui-ci,
en effet, tout en remerciant Dieu d’avoir daigné l’élever à cet honneur,
doit se montrer fidèle à toutes ses obligations, en même temps que mesuré
et prudent dans tous ses actes ; il ne doit point se laisser dominer
par de viles passions, ni emporter en paroles violentes et excessives ;
il doit compatir avec bonté aux malheurs et aux faiblesses d’autrui, faire
à chacun tout le bien qu’il peut, d’une manière désintéressée, sans ostentation,
en maintenant toujours intact l’honneur de son caractère et de sa sublime
dignité. "
Nous revenons maintenant
à vous, Nos chers fils du clergé français, et Nous avons la ferme confiance
que Nos prescriptions et Nos conseils, uniquement inspirés par Notre affection
paternelle, seront compris et reçus par vous, selon le sens et la portée
que Nous avons voulu leur donner en vous adressant ces Lettres.
Nous attendons beaucoup
de vous, parce que Dieu vous a richement pourvus de tous les dons et de
toutes les qualités nécessaires pour opérer de grandes et saintes choses
à l’avantage de l’Eglise et de la société. Nous voudrions que pas un seul
d’entre vous ne se laissât entamer par ces imperfections qui diminuent
la splendeur du caractère sacerdotal et nuisent à son efficacité.
Les temps actuels
sont tristes, l’avenir est encore plus sombre et plus menaçant ;
il semble annoncer l’approche d’une crise redoutable de bouleversements
sociaux. Il faut donc, comme Nous l’avons dit en diverses circonstances,
que nous mettions en honneur les principes salutaires de la religion,
ainsi que ceux de la justice, de la charité, du respect et du devoir.
C’est à nous d’en pénétrer profondément les âmes, particulièrement celles
qui sont captives de l’incrédulité ou agitées par de funestes passions,
de faire régner la grâce et la paix de notre divin Rédempteur, qui est
la lumière, la résurrection, la vie, et de réunir en lui tous les hommes,
malgré les inévitables distinctions sociales qui les séparent.
Oui, plus que jamais,
les jours où nous sommes réclament le concours et le dévouement de prêtres
exemplaires, pleins de foi, de discrétion, de zèle, qui, s’inspirant de
la douceur et de l’énergie de Jésus-Christ, dont ils sont les véritables
ambassadeurs, pro Christo legatione fungimur (2 Co 5, 20),
annoncent avec une courageuse et indéfectible patience les vérités éternelles,
lesquelles sont pour les âmes les semences fécondes des vertus.
Leur ministère sera
laborieux, souvent même pénible, spécialement dans les pays où les populations,
absorbées par les intérêts terrestres, vivent dans l’oubli de Dieu et
de sa sainte religion. Mais l’action éclairée, charitable, infatigable
du prêtre, fortifiée par la grâce divine, opérera, comme elle l’a fait
en tous les temps, d’incroyables prodiges de résurrection.
Nous saluons de tous
nos voeux et avec une joie ineffable cette consolante perspective, tandis
que, dans toute l’affection de Notre coeur, Nous accordons à vous, vénérables
Frères, au clergé et à tous les catholiques de France, la bénédiction
apostolique.
Donné à Rome, près
Saint-Pierre, le 8 septembre de l’année 1899, de Notre Pontificat la vingt-deuxième.
NOTES
1 S. Greg.
M. Lib. Regulae Past., p. 1, c. 1.
2 Porro linguam latinam apud nos obsolescere nec quisquam est
qui nesciat, et viri prudentes conqueruntur. Discitur tardissime, celerime
didiscitur (Litt. Synod. Patrum Conc. Paris. ad clericos et fideles,
an. 1819, in Collectio Lacensis, t. IV, col. 86).
3 Encyclique : AEterni Patris.
4 De Studiis Monasticis, part. II, c. 9.
5 Const. Apost. Triumphantis Jerusalem.
6 Pretiosas divini dogmatis gemmas insculpe, fideliter
coapta, adorna sapienter ; adiice splendorem, gratiam, venustatem.
(S. Vinc. Lir. Commonit., c. 2.)
7 Même Constitution.
8 18 novembre 1893.
9 Genus interpretandi audax atque immodice liberum (Lettre
au Ministre Général des Frères Mineurs, 25 novembre 1898.)
10 Numquid Deus indiget vestro mendacio ?
11 Theologicarum doctrinarum solidae scientiae conjungi debet
Sacrorum Canonum cognitio ... sine qua theologia erit imperfecta et quasi
manca, nec non multi errores de Romani Pontificis, episcoporum juribus
ac praesertim de potestate quam Ecclesia jure proprio exercuit, pro varietate
temporum, forsitan serpent et paulatim invalescent (Conc. prov. Bitur.
a. 1868).
12 O Timothee, depositum custodi, devitans profanas vocum novitates,
et oppositiones falsi nominis scientiae, quam quidam promittentes, circa
fidem exciderunt.
13 Zelus animarum laudandus est si sit discretus, rectus et
purus.
14 Importabilis siquidem absque scientia est zelus ... Quo
igitur zelus fervidior ac vehementior spiritus, profusiorque charitas,
eo vigulantiori opus scientia est quae zelum supprimat, spiritum temperet,
ordinet charitatem ... Tolle hanc (discretionem) et virtus vitium erit,
ipsaque affectio naturalis in perturbationem magis convertetur exterminiumque
naturae (S. Bern. Serm. XLIX in Cant., n. 5.)
15 Divinum quippe aedificium, quod est ecclesia, verissime
nititur in fundamento conspicuo, primum quidem in Petro et successoribus
ejus, proxime in apostolis et successoribus eorum, episcopis, quos, qui
audit vel spernit, is perinde facit ac si audiat vel spernat Christum
Dominum (Epist ad arch. Turon).
16 Omnes episcopum sequimini ut Christus Jesus Patrem ...
Sine episcopo nemo quidquam faciat eorum quae ad Ecclesiam spectant (S.
Ign. Ant. Ep. ad Smyrn. 8). Quemadmodum itaque dominus sine Patre
nihil fecit ... sic et vos sine episcopo (idem ad magn., VII).
Vestrum presbyterium ita coaptatum sit episcopo ut chordae citharae (idem
ad Ephes., IV).
17 Quantum in vobis est, ordinem ab auctore Ecclesiae Deo providentissime
constitutem funditus evertitis (Greg. xvi. Epist. Encycl., 15 aug.
1832).
18 Cum enim a rebus saeculi in altiorem sublati locum conspiciantur,
in eos tanquam in speculum reliqui oculos conjiciunt ex iisque sumunt
quod imitentur. Quapropter sic decet omnino clericos, in sortem Domini
vocatos, vitam moresque suos omnes componere, ut habitu, gestu, incessu,
sermone aliisque omnibus rebus, nil nisi grave, moderatum, ac religione
plenum prae se ferant ; leviam etiam delicta, quae in ipsis maxima
essent, effugiant, ut eorum actiones cunctis afferant venerationem (S.
Conc. Trid. Sess. XXII, de Reform., c. 1).
19 Enarr., in Ps. XXXI, n., 4.
20 Abest profecto a Nobis ut quaecumque horum temporum ingenium
parit omnia repudiemus. Quin potius quidquid indagando veri auenitendo
boni attingitur, ad patrimonium doctrinae augendum publit caeque prosperitatis
fines proferendos, libentibus sane Nobis accedit. Id tamen omne, ne solidae
utilitatis sit expers, esse ac vigere nequaquam debet Ecclesiae auctoritate
sapientiaquae posthabita (Epist. ad S.R.E. Presbyt. Card. Gibbons,
Archiep. Baltimor., die 22 ian. 1899).